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Un prix récompense les meilleurs projets de migrants en faveur de leur pays d’origine

Le 11 octobre dernier à Vevey, la Fédération vaudoise de coopération et ses partenaires, dont Albinfo.ch, remettait le Prix Diaspora & Développement à quatre projets portés par des associations de diasporas. Objectif ? Valoriser l’impact des migrant·e·s dont le rôle dans la coopération internationale gagne peu à peu en reconnaissance.

«Ce prix revient à toutes les jeunes Tchadiennes qui se battent chaque jour pour pouvoir aller à l’école et devenir indépendantes!» Hadjenana Mahamat Abouna est émue. Le 11 octobre dernier, à Vevey, son organisation, Ensemble Sawa, a remporté le 1er prix de la 6e édition du Prix Diaspora & Développement de la Fedevaco, la Fédération vaudoise de coopération. Un prix de 10’000 CHF, offert par la ville de Vevey et les communes de Blonay-St-Légier, Corseaux et Corsier-sur-Vevey, pour son projet de fabrication et de distribution de serviettes menstruelles lavables au Tchad. Son but? Lutter contre l’absentéisme des filles à l’école qui, dans un pays où les menstruations sont taboues et les serviettes hygiéniques inabordables, préfèrent interrompre leurs études plutôt que d’être stigmatisées.

Ensemble Sawa, a remporté le 1er prix de la 6e édition du Prix Diaspora & Développement de la Fedevaco, la Fédération vaudoise de coopération.

Un projet pertinent tant l’éducation et la santé des filles sont un enjeu majeur de développement en raison, notamment, de leur impact positif sur l’économie et la démographie des pays concernés. Aujourd’hui, Ensemble Sawa possède un local à N’Djamena, quatre postes de couturière ont déjà été créés. La distribution des premières protections «made in Tchad» démarrera fin octobre.

On connaissait l’impact économique des sommes qu’envoient les migrant·e·s à leurs familles. On a mis du temps, toutefois, à considérer que les diasporas pouvaient apporter davantage à la coopération internationale, à savoir: des idées, une connaissance intime du pays et de ses besoins, leur réseau, leur puissante volonté d’engagement et, comme Hadjenana Mahamat Abouna, leur capacité à mettre le doigt sur le petit détail qui n’en est pas un.

Yvan Luccarini, Syndic de la commune de Vevey
6ème Cérémonie de la remise du Prix Didaspora & Développement 2022

Incubateurs de projets

C’est dans le but de valoriser ce potentiel que la Fedevaco, la Fédération vaudoise de coopération, a lancé, il y a 10 ans, le Prix Diaspora & Développement. «Nous avons constaté qu’il y avait encore trop peu de personnes des diasporas parmi les acteurs du développement, que leur rôle était insuffisamment reconnu et que ces organisations avaient besoin de renforcer leurs compétences», explique Anne Gueye-Girardet, coordinatrice du projet, qui se réjouit que la Fedevaco et ses partenaires puissent jouer ce rôle d’incubateur de projets et de mise en réseau.

nne Gueye-Girardet, coordinatrice du projet
Anne Gueye-Girardet, coordinatrice du projet Prix Diaspora & Développement 2022

Car bien plus qu’une récompense, le Prix Diaspora & Développement, remis tous les deux ans, est avant tout un cursus de formation destiné à offrir aux organisations issues de la migration des compétences en matière d’élaboration de projet, de mobilisation des ressources, d’évaluation des risques, etc. Cette année, 18 organisations ont pu consolider leur projet; 13 d’entre eux ont été présentés à un jury d’experts.

«Je suis arrivée avec une idée, je repars avec un projet», s’enthousiasme Auriza Monteiro Gomes dont l’organisation, les Enfants de Brianda, a décroché le 2e prix – 5000 CHF offert par l’Eper, l’Entraide protestante suisse – pour son projet de réutilisation par phytoépuration des eaux usées pour la production de fourrage au Cap-Vert. Une proposition qui a séduit le jury par sa cohérence, sa pérennité et un budget parfaitement aligné sur les objectifs. La Fedevaco s’assure également de la durabilité des projets et de leur potentiel de démultiplication.

L’entreprise sociale et solidaire ArboRise a remporté, quant à elle, le 3e prix: une vidéo promotionnelle sur son projet de biogaz pour les familles en Guinée. Un 4e prix Coup de cœur du jury a été décerné à Terre & Papier pour son projet de partage des savoirs sur la construction d’habitats en argile-cellulosique au Brésil. En 10 ans, la Fedevaco a accompagné plus de 200 personnes issues de 120 organisations. Au fil des ans, les formations se sont élargies et renforcées avec l’arrivée de partenaires actifs dans les thématiques de l’intégration et du développement ainsi que dans la formation pour adultes: l’EPER, Helvetas, Albinfo.ch, Isango-Formation. Et, plus récemment, grâce au soutien de l’association My Sustainable Business Models et de la Chambre de l’économie sociale et solidaire vaudoise Après-VD.

Vjosa Gervalla, Directrice de l’assocaition albinfo.ch
  • Amina Benkais-Benbrahim est déléguée à l'intégration du canton de Vaud et cheffe du Bureau cantonal pour l'intégration des étrangers et la prévention du racisme

  • Régis Blanc, Hellvetas

Une nouvelle forme de coopération

Plusieurs études récentes témoignent de la plus-value des projets portés par les communautés issues de diasporas, aussi enrichissants pour les pays de provenance que pour les pays d’accueil en termes d’apport de savoir-faire et d’expériences à partager. Le nombre croissant de nouvelles initiatives visant à intégrer les organisations de diaspora ne doit toutefois pas faire oublier la nécessité d’une collaboration et d’une coordination plus efficaces. Car seule l’instauration de partenariats étroits entre les Etats, les organisations d’aide au développement et les migrant·e·s permet de tirer au mieux profit du potentiel inhérent à la migration. «En tant que faitière, la Fedevaco a un rôle particulier à jouer comme catalyseur des synergies entre les différents acteurs du développement», estime sa présidente, Anne Roulet.

Anne Roulet, Présidiente de la Fedevaco

La table-ronde organisée lors de la remise des prix a permis de confirmer cette évolution vers une nouvelle forme de coopération. Les Etats eux-mêmes, autrefois peu enclin à soutenir les projets de leur diaspora, sont aujourd’hui de plus en plus nombreux à les prendre en compte dans leur stratégie de développement. Le projet de protections hygiéniques d’Ensemble Sawa a ainsi séduit le gouvernement tchadien, mais aussi le bureau de la coopération suisse au Tchad et l’ambassade de France. Des discussions sont en cours sur la forme que pourrait prendre leur soutien.

Cependant, si tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faut désormais faire «avec» plutôt que faire «pour», des études montrent que la Suisse pourrait surtout faire mieux, notamment en matière de financement.

Jenny Maggi, Sociologue, Université de Genève / Amina Benkahis-Benbrahim, Déléguée cantonale à l’intégration – BCI, / Christyl Vasserot, Cheffe du service de la Cohésion sociale de la Ville de Vevey.