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Le Kosovo se vide

Le phénomène de migration illégale du Kosovo se poursuit. Albinfo.ch délivre un reportage exclusif de Prishtina.

  • Foto: albinfo.ch

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Les départs en masse des Kosovars en direction des pays européens a pris de l’ampleur ces derniers jours. Plus de 10 autobus sont partis de la station de bus de Prishtina le soir du 3 février

Avec 50 autres passagers, Mustafë Bislimi a lui aussi pris la route illégalement vers l’Allemagne. Malheureusement, cet homme de 61 ans n’a pas réussi à passer Merdar, la frontière entre le Kosovo et la Serbie. En effet, il a perdu la vie dans le bus qui assurait ce voyage, le dernier pour cet habitant du village de Bullofc.

L’objectif de Mustafë était différent de celui des 50 autres passagers du bus. Ces derniers tentaient de rejoindre Belgrade, avant de continuer vers Subotica, le lieu le plus fréquenté par les Kosovars ces dernier mois. Bislimi, selon ses proches, voulait rendre visite à sa fille en Allemagne, mais il est décédé d’une attaque cardiaque pendant le voyage. Son entourage indique que son état de santé était bon.

« Il a demandé de l’eau pendant le voyage, car il ne se sentait pas bien. Il s’est alors écroulé, et est mort sur le coup », raconte l’un de ses proches. Mustafë Bislimi a été enterré le lendemain dans son village natal.

C’est le deuxième Kosovar qui perd la vie durant ces périples illégaux vers l’Union Européenne. Un mois auparavant, un autre Albanais de la municipalité de Ferizaj est décédé à la frontière entre la Hongrie et la Serbie. Retrouvé au milieu des bois par les autorités hongroises, l’homme est mort d’hypothermie.

Le départ en masse des Kosovars en direction des pays de l’Union Européenne a récemment pris une ampleur exceptionnelle. Chaque soir, des dizaines d’autobus plein de Kosovars prennent la route vers la Serbie. De là, les migrants rejoignent la Hongrie avant d’atteindre leur objectif final : l’un des pays entre la France, l’Allemagne, ou l’Autriche.

Initialement, ce furent principalement les habitants des zones de Gjilan et Ferizaj qui étaient touchés par le phénomène. La tendance a changé, ce sont à présent des citoyens de Mitrovica, Skenderaj et de Podujevo qui partent.

Albinfo.ch se trouvait sur place, à la station de bus de Prishtina, afin d’observer de plus près l’exode des Kosovars. Des jeunes, aux sacs de sports sur le dos, des femmes, des enfants, mais également des malades, faisaient partie de ceux qui attendaient, en file, afin de s’assurer un siège dans l’un des autobus des agences Ardi, Fjolla ou autre Erhan…

Dès que le bus s’arrête, tous se ruent afin de monter dedans et se faire une place. Les insultes entre les passagers qui n’avaient pas réservé leurs billets auparavant ne manquent pas. « Ne me pousse pas, abruti » s’écrie l’un deux avec un enfant dans les bras. Dans de telles circonstances, l’effet d’une telle « menace » est quasiment nul.

Emërllahu, âgé d’environ 60 ans, était à la station pour dire au revoir à son fils, sa belle-fille et son petit-fils de 2 ans. « Il s’est obstiné avec cette idée de partir, et personne ne peut lui faire changer d’avis. Je suis triste pour mon petit-fils, je ne m’inquiète pas pour lui » nous explique-t-il sur un ton langoureux.

Cet habitant de la région de Prishtina indique que la cause du départ de son fils était le manque de perspective. « Il a obtenu son diplôme de droit, et a postulé dans plus de 20 entreprises. Il n’a été accepté nulle part, et, plusieurs fois, n’a pas été invité à un entretien » raconte Emërllahu.

Malgré le fait que cet homme s’est exprimé pour albinfo.ch, d’autres n’ont pas tenu à le faire.

Parmi la foule, certains trouvent bon d’insulter les dirigeants du pays. « Leur (mères) à ces voleurs ! Ils sont devenus millionnaires, tandis que le peuple meurt de faim. Vetëvendosja (mouvement d’autodétermination) a raison lorsqu’elle incite à brûler cet endroit, car il n’y a pas d’autre solution pour faire tomber ces charlatans du pouvoir » s’exprime un autre « voyageur » pour Subotica.

« Tu vois ce garçon qui titube. Il vient de Drenas. Il a fait une chute du deuxième étage alors qu’il murait une maison et il est aujourd’hui en mauvaise santé. Il part vers la France avec l’espoir de se soigner» raconte un homme près de la trentaine. Malgré notre insistance, le jeune garçon n’a pas accepté de s’exprimer.

Par ailleurs, un billet de Prishtina pour Belgrade coûte 15 euros. Dimanche soir, 10 autobus ont pris cette destination.

Selon un calcul réalisé par Eurostat, plus de 20 milles Kosovars sont partis vers l’UE durant les deux derniers mois. L’office de l’émigration du ministère de l’intérieur d’Hongrie a confirmé pour les médias locaux que jusqu’à 25 janvier, le nombre de Kosovars inscrits se montait à 6.000.

En trois mois, 24 mille Kosovars ont passé par ce pays.

La dernière nouvelle vient tout droit de Budapest, où il est dit que la police hongroise a arrêté un groupe de 200 kosovars dans une gare. Parmi eux se trouvent beaucoup d’enfants, qui avaient pour but d’atteindre l’Autriche.

Arbrie Nagavci, directrice de l’éducation dans l’assemblée municipale de Prishtina, a fait savoir par l’intermédiaire de son profil Facebook que plus de 810 élèves ont quitté l’école ces derniers mois.

Même scénario à Gjilan, où le deuxième semestre a démarré avec 350 élèves en moins. À Ferizaj, ce sont 400 élèves qui manquent à l’appel, contre 300 pour la ville de Mitrovica.

Alors que ces départs prennent des proportions de plus en plus importantes, les autorités à Prishtina n’ont entrepris aucune mesure concrète pour tenter de les arrêter. Une semaine auparavant, le parlement du pays avait débattu sur le sujet, sans pour autant réussir à produire une résolution contre la migration illégale, du fait que les ministres du gouvernement et les députés de la majorité ont quitté la séance.