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Les Albanais décisifs aux élections à Vernier, Meyrin et Onex : mobilisation positive ou polémiques injustes ?

Si certains voient ce phénomène comme une preuve d’intégration démocratique et citoyenne, d’autres expriment des inquiétudes concernant une possible instrumentalisation politique et des manipulations du processus électoral

La forte mobilisation électorale de la communauté albanaise à Vernier, Meyrin et Onex (Genève) a suscité un vif débat public et politique en Suisse. Si certains voient ce phénomène comme une preuve d’intégration démocratique et citoyenne, d’autres expriment des inquiétudes concernant une possible instrumentalisation politique et des manipulations du processus électoral.

Sean Müller, professeur à l’Université de Lausanne et expert en démocratie directe et fédéralisme, juge positivement cette mobilisation en déclarant : « Toute stratégie qui encourage les citoyens à exercer leur droit de vote est bienvenue, car une participation accrue renforce la légitimité et la stabilité politique ». Il explique que les communautés migrantes, voyant une meilleure représentation politique, se sentent davantage intégrées et reconnues dans la société suisse. Müller met toutefois en garde contre une focalisation excessive sur l’ethnicité ou la culture, risquant de réduire la flexibilité et le dynamisme naturel du débat politique.

Müller insiste sur le fait qu’une mobilisation électorale transparente et spontanée est positive pour l’intégration démocratique. Cependant, il prévient que si une mobilisation est exclusivement axée sur les origines culturelles ou ethniques, elle pourrait devenir problématique. Pour éviter cela, Müller propose que les autorités locales s’assurent d’un cadre clair et transparent pour les élections, tout en promouvant activement le dialogue interculturel et la cohésion sociale.

Dorina Xhixho, ancienne membre du Comité Directeur du Parti Socialiste genevois, a soulevé de sérieuses préoccupations et confirmé sa démission en lien avec cette affaire. Xhixho dénonce le silence et l’absence de réaction des instances dirigeantes du PS face aux accusations contre les Albanais de pratiquer un « vote communautaire ». Selon elle, « l’absence de réaction claire du PS a favorisé la stigmatisation et la délégitimation des Albanais ». Elle souligne également que la mentalité dominante au sein du PS n’a jamais permis une véritable représentation des minorités, particulièrement de la communauté albanophone.

Xhixho critique vivement le fossé entre le discours officiel du PS sur l’égalité et l’intégration et la réalité interne du parti, où la discrimination et le racisme structurel restent des obstacles majeurs. Elle évoque des exemples précis, comme les élections pour le Conseil d’État du Canton de Genève en 2017, où le candidat Thierry Apothéloz fut injustement accusé de « mobilisation massive » d’Albanais via les adhésions dans la section de Vernier, où il était conseiller administratif. Une situation similaire s’est produite également lors des élections de 2024 pour le Conseil Administratif de la Ville de Genève, où environ 25 adhésions, principalement d’immigrés, dont 5 à 6 albanais, furent injustement suspendues pour empêcher un prétendu « vote communautaire ». Le PS, loin de réagir, a même alimenté cette rhétorique négative dans les médias.

Xhixho décrit également les pressions et intimidations subies personnellement après avoir soulevé ces questions au sein du parti, incluant des répercussions sur sa vie privée et professionnelle. Une enquête interne a finalement révélé que la suspension des adhésions était infondée. Xhixho considère ce cas comme un exemple clair d’hypocrisie politique et de doubles standards.

Dans sa lettre publique de démission, Xhixho exprime sa profonde déception envers le PS, qui traditionnellement bénéficie d’un large soutien des communautés immigrées, mais qui n’a pas réagi fermement face à ces discriminations internes, contribuant ainsi à un climat général de méfiance envers la participation politique des Albanais.

Sandro Cattacin, professeur à l’Université de Genève, souligne l’importance de cette mobilisation électorale comme un pas positif vers l’intégration démocratique. Il explique que le choix des candidats basé sur des origines communes est une pratique courante et normale en démocratie, comparant cela au vote en faveur des femmes. Néanmoins, il avertit que le risque d’instrumentalisation devient réel lorsque l’appartenance communautaire devient le critère central du choix électoral.

Cattacin insiste sur la responsabilité des autorités locales et des partis politiques à adopter des mesures précises pour éviter la discrimination et l’instrumentalisation négative. Il propose notamment l’introduction d’une éducation antiraciste dans les écoles, des formations continues pour le personnel des administrations publiques sur le respect de la diversité culturelle, et des politiques claires favorisant le recrutement reflétant la diversité réelle de la population locale. Selon lui, ces mesures renforceraient non seulement l’intégration, mais aussi la cohésion sociale et la confiance des différentes communautés envers les institutions publiques.

Leonard Ferati, député socialiste à Genève, renforce cette perspective positive en considérant cette mobilisation comme un signe de maturité politique au sein de la communauté albanaise. Il rejette fermement toute stigmatisation et criminalisation des Albanais, jugeant que les accusations infondées de manipulation traduisent davantage une peur politique qu’une réalité fondée. Ferati ajoute que la communauté albanaise exerce simplement son droit démocratique et est parfaitement capable de choisir ses représentants en fonction de leurs compétences et de leurs programmes politiques.

En conclusion, cette mobilisation électorale doit être perçue comme un signe positif et important d’intégration démocratique, tandis que les problèmes liés à l’instrumentalisation et à la stigmatisation nécessitent une approche prudente et inclusive de la part des partis politiques et de la société suisse dans son ensemble, afin de maintenir la cohésion sociale et renforcer la démocratie locale.