Kosova
Le Kosovo agricole, Un potentiel à développer
À quand une distribution à large échelle de spécialités kosovares, capables de rivaliser avec celles venues de Croatie ou de Macédoine ? La question reste ouverte
Verra-t-on un jour les épiceries de Suisse ou d’Allemagne afficher fièrement Produced in Kosovo ? À quand une distribution à large échelle de spécialités kosovares, capables de rivaliser avec celles venues de Croatie ou de Macédoine ? La question reste ouverte ; certains répondraient avec ironie : le jour où les Kosovars eux-mêmes reconnaîtront la valeur de leur production agricole — et où l’État soutiendra enfin ce secteur autant qu’il promeut d’autres branches de l’économie.
Suharekë, au sud du Kosovo, est une des principales municipalités agricoles du pays.
Car si l’économie kosovare se fait de mieux en mieux connaître à l’international par le biais d’un secteur tertiaire en fort développement, son socle historique et social n’en est pas moins profondément rural. Et l’agriculture, bien que peu mécanisée, en est toujours un pilier économique : en 2022, elle représentait 7,4 % du PIB et mobilisait 23 % des actifs ! Bien sûr, la taille moyenne des exploitations, évaluée entre 1,5 et 3,2 hectares selon la FAO (Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture), reflète l’héritage d’un modèle vivrier : près de 50% de la surface arable totale (un peu plus de 420 000 hectares, (soit environ la moitié du territoire kosovar) est ainsi exploitée par des fermes disposant de moins de 5 ha, et un domaine sur deux ne dépasse pas 1 ha. L’omniprésence du vénérable et inusable petit tracteur rouge IMT, parfait pour ce genre de superficie, en est une jolie preuve visuelle.
Certains agriculteurs ont pu investir dans des machines agricoles adaptées à de grandes surfaces, tels ces deux tracteurs dans les environs de Suharekë.
En un demi-siècle, le tissu agricole du pays a pourtant connu une évolution remarquable, à en juger par les nombreux projets innovants qui y ont vu le jour, grâce à de petits entrepreneurs résilients et durs à la tâche, ayant foi en leur concept et capables de se fédérer pour susciter des synergies efficaces sur le marché intérieur comme à l’exportation. On en verra d’ailleurs quelques exemples lors du deuxième volet de cette série de trois articles consacrés à l’agriculture kosovare. Des modèles inspirants, qui ont su tirer parti du tissu agricole du pays – ce pays où, dans certaines régions, quasiment chaque famille possède encore des terres arables – autant qu’ils ont su le dépasser. Et surtout, des entreprises qui parviennent à surmonter les nombreux freins structurels, voire sociétaux, qui ralentissent leur essor. En détaillant ces derniers, on mesure d’ailleurs le mérite des agriculteurs qui s’accrochent à leur vocation et la transforment en succès entrepreneurial.
Le robuste tracteur IMT, survivant de l’ère yougoslave, parfaitement adapté à la petite surface de la majorité des domaines du Kosovo.
Bien sûr, il serait injuste de prétendre que l’État kosovar laisse les paysans se débrouiller tout seuls. L’agriculture est bel et bien soutenue, à la fois par un système de paiements directs analogue à ceux que connaissent la Suisse et les pays de l’Union européenne, ainsi que par des subventions octroyées par le ministère de l’Agriculture ou, à l’échelon régional, par les départements compétents des municipalités. Mais dans la réalité, ce soutien ne fonctionne qu’imparfaitement.
Champs entre Suharekë et Mushtishtë (sud du Kosovo).
D’abord parce que le système de paiements directs est lié à la surface déclarée, et donc vulnérable aux abus : à la faveur d’une certaine opacité entretenue par le morcellement extrême des domaines agricoles, trop de propriétaires perçoivent ainsi des aides sans pour autant faire pousser quoi que ce soit sur le bout de terrain dont ils disposent. Le ministère de l’Agriculture, conscient du problème, tente de modifier les critères d’attribution pour tenir compte des chiffres réels de la production plutôt que de la simple surface établie au cadastre. Un travail de longue haleine… mené pas à pas.
Ensuite, si le ministère de l’Agriculture dispose d’un budget de subventions de 30 à 35 millions d’euros par an, soit le plus élevé parmi les ministères, la demande excède pourtant de loin cette somme. Chef de projet et cofondateur de BIOKS, une entreprise de service spécialisée dans l’accompagnement d’entreprises cherchant à obtenir des crédits et subventions du gouvernement et d’investisseurs étrangers, Naim Kicaj est idéalement placé pour le savoir – d’autant que sa clientèle est composée pour plus du tiers d’agriculteurs. «Sur huit demandes qui aboutissent au ministère, une seule obtient un financement, relate cet habitant de Suharekë, dans l’une des principales régions agricoles du Kosovo. Et la suppression des financements de l’USAID décidée par l’Administration étasunienne ne va pas améliorer les choses.»
Comme de nombreuses exploitations agricoles au Kosovo, cette ferme des environs de Suharekë mise sur la diversification. Entre les dizaines de noyers plantés récemment, des poulets élevés en plein air pâturent librement.
Certes, lorsqu’un entrepreneur agricole parvient à décrocher le financement d’un projet particulier, l’apport n’est pas à minimiser, avec un montant maximum échelonné entre 100’000 et 400’000 euros – pour un projet d’ampleur dans un domaine spécifique, par exemple la transformation de produits carnés ou de légumes.
Encore faut-il parvenir à se frayer son chemin parmi les nombreux obstacles juridiques et administratifs menant à la manne gouvernementale. «Contrairement aux paiements directs, les subventions étatiques ne pas octroyées automatiquement en fonction de la surface cultivée ou de la production, détaille Naim Kicaj. Il faut impérativement qu’une des trois conditions suivantes soit remplie : pouvoir certifier de la propriété du domaine, pouvoir certifier que le domaine appartenait à l’un ou l’autre aïeul en ligne directe, ou disposer d’un contrat de location établi devant notaire. Or, la privatisation des coopératives étatiques qui étaient le système prédominant avant la guerre a eu pour effet de laisser 75% des terres agricoles kosovares sans propriétaire légal.» De nombreux agriculteurs n’ont donc aucune possibilité de demander une subvention ; conscientes du problème, les autorités ont mis en place une procédure de certification de propriété requérant la présence de témoins, mais celle-ci, simple en apparence, peut vite s’avérer complexe, notamment lorsque les ayant-droits résident à l’étranger. «C’est un obstacle majeur aux investissements dans la branche agricole», déplore le spécialiste.
Elevage de poulets dans les environs de Suharekë.
L’insécurité juridique quant à la propriété foncière a en outre un effet collatéral pernicieux perceptible depuis quelques années : l’érosion des zones agricoles au profit des parcelles dédiées à l’industrie. «Il y a bien un plan d’affectation spécifiant quelles parcelles sont en zone protégée, mais on observe fréquemment la construction de bâtiments industriels sur ces terrains qui devraient rester voués à l’agriculture, déplore ainsi une source au Département des propriétés et du cadastre de Suharekë. La construction de zones industrielles respectant le plan d’affectation permet d’ailleurs d’éviter ce type de problème, et c’est ce que cherche à faire la Municipalité.»
Bref, pas facile de développer un projet agricole dans ce contexte… D’autant que les infrastructures rurales demeurent très insuffisantes; de nombreuses routes de desserte agricole sont souvent en mauvais état, voire impraticables, et les demandes d’aménagement se heurtent aux budgets limités des municipalités. Quant à l’irrigation, elle reste aléatoire. Certains villages en zone rurale attendent depuis des décennies d’être reliés à un réseau de distribution d’eau et ne peuvent compter que sur des puits aménagés par les privés et à leurs frais, même si la brièveté des saisons de culture atténue encore pour l’heure les effets des sécheresses estivales.
Vignes dans les environs de Suharekë.
Enfin, des facteurs sociétaux freinent également l’essor du secteur. L’agriculture est fréquemment perçue comme une activité peu valorisante face au secteur immobilier ou à celui des services. Les femmes y sont actives, parfois même à la tête d’exploitations innovantes, mais elles doivent lutter pour être pleinement reconnues en tant qu’entrepreneures indépendantes. Quant aux synergies collectives, indispensables ne serait-ce que pour alléger la charge financière que l’achat de machines de production ou de transformation fait peser sur les ménages paysans, elles sont malheureusement entravées par une vieille méfiance envers les coopératives agricoles, associées à l’ère socialiste.
L’élevage de vaches laitières et la vente directe de lait et de fromage sont à la base de l’exploitation de Drita Kabashi, à Sallagrazdhë, dans la Municipalité de Suharekë.
Conséquence : en dépit de la vitalité de certaines initiatives locales (comme celles que l’on découvrira dans notre prochain volet), on est bien loin de l’autosuffisance alimentaire. La dépendance aux importations – notamment via les chaînes de supermarchés comme VIVA Fresh, SPAR ou CONAD, qui ont largement pris l’ascendant sur les marchés villageois et les petites épiceries, dans un pays où la population se concentre de plus en plus dans les villes – est problématique. Elle soulève à terme des questions de sécurité alimentaire, mais aussi de santé publique liés à la prévalence de produits transformés souvent peu qualitatifs et issus des systèmes agroalimentaires très intensifs des pays voisins telles la Macédoine du Nord, la Croatie, etc. Et pourtant, le Kosovo a tout pour bien faire, bien produire, bien manger… et bien exporter !
Blaise Guignard
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